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pierre niney - Page 3

  • Sortie DVD (le 15.07) - UN HOMME IDEAL de Yann Gozlan avec Pierre Niney - Critique

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    Le 20 février dernier, des mains de Kristen Stewart et Juliette Binoche, Pierre Niney recevait le César du meilleur acteur pour « Yves Saint Laurent » de Jalil Lespert (pour lequel il avait déjà reçu le prix Patrick Dewaere), après avoir été nommé deux fois comme meilleur espoir pour « J’aime regarder les filles » de Frédéric Louf en 2012 et « Comme des frères » de Hugo Gélin en 2013.  Cette cérémonie des César 2015 à laquelle j’assistais comme chaque année (mon compte rendu, ici), fut  riche en émotions, d’abord parce que « Timbuktu » (LE film de l’année 2014) en a été le grand vainqueur, ensuite parce que s’y entrelaçaient le cinéma d’hier (Truffaut, Resnais) et celui d’aujourd’hui, parce que la cérémonie était menée par Edouard Baer qui, piquant mais jamais cruel, faussement désinvolte et jamais cynique, tout au long de celle-ci, a fait preuve d’un humour  joyeusement décalé (irrésistible tournage de « Panique aux César » auquel se sont pliés avec humour plusieurs comédiens, l’humour décalé et réjouissant était également au rendez-vous dans le sketch de « Casting(s) », la série d’ailleurs écrite et réalisée par… Pierre Niney ), et enfin parce que cette soirée a été jalonnée de quelques moments de grâce qui nous en ont fait occulter la longueur comme l’hommage tout en pudeur des acteurs d’Alain Resnais  à cet immense cinéaste, l’étourdissante musique de « Timbuktu » interprétée en live qui m’a touchée en plein cœur, et l’hommage musical et magnifique à Truffaut pour les 30 ans de sa mort par M et Ibrahim Maalouf ( par ailleurs auteur, notamment, de la magnifique musique du film « Yves Saint Laurent » de Jalil Lespert) qui ont interprété « L’amour en fuite » de Souchon parvenant ainsi à faire danser les spectateurs du Châtelet mais surtout le discours de Pierre Niney par lequel j’ai été particulièrement touchée.  Par son émotion en parlant de sa famille. Par ses remerciements, aux techniciens notamment, ses mots pour  Gaspard Ulliel (L’autre Saint-Laurent que certains amateurs d’un monde simpliste et dichotomique ont voulu opposer à Pierre Niney alors que ces deux films, comme le jeu de ces deux acteurs, sont différents et complémentaires) mais aussi pour les autres nommés ou pour son talentueux partenaire dans « Yves Saint Laurent », Guillaume Gallienne. Et surtout en faisant l’éloge de cette notion si noble et rare : la bienveillance dont, par ces mots, il a lui-même fait preuve. « Je le lis comme une bienveillance profonde. Et cette bienveillance elle est tellement importante pour jouer, le regard bienveillant des gens. Alors merci pour cette bienveillance. Je crois qu’aujourd’hui, j’ai grandi avec cette bienveillance, elle m’a permis de rêver, d’avoir des rêves depuis que je suis petit et ce soir je suis devant vous. Cette bienveillance elle est nécessaire parce qu’on a besoin aujourd’hui, au-delà des artistes, au-delà des acteurs, d’une jeunesse qui rêve et qu’on leur en donne les moyens. Merci encore une fois. Merci de ce César, merci de ce souvenir et merci aux bienveillants. »

     

    J’ai été émue enfin parce que je me souviens encore de cette projection du film de Frédéric Louf « J’aime regarder les filles » au Festival du Film de Cabourg 2011, un film dans lequel son talent  crevait l’écran (de même que celui de Lou de Lâage  -moins chanceuse lors de ces César mais époustouflante dans « Respire » de Mélanie Laurent- et celui Audrey Bastien). Dans ce film, la littérature cristallisait les sentiments des personnages et, déjà, le personnage incarné par Pierre Niney s’inventait une vie qui n’était pas la sienne. Après d’autres passages remarqués et remarquables au cinéma (notamment dans « Comme des frères »), c’est grâce au film « Yves Saint Laurent » de Jalil Lespert qu’il a donc obtenu son premier César, amplement mérité, incontestable. Une histoire d’amour et de création. Une autre. Finalement, « Un homme idéal » est aussi une histoire d’amour et de création. La comparaison s’arrête là, ce dernier film était aussi et avant tout un thriller haletant.

     

    L’homme (en apparence) idéal incarné par Pierre Niney se prénomme Mathieu. Il a 25 ans et travaille comme déménageur. 25 ans, l’âge, encore, de tous les possibles. L’âge de croire à une carrière d’auteur reconnu. Malgré tous ses efforts, Mathieu n’a pourtant jamais réussi à être édité. C’est lors de l’un de ces déménagements qu’il tombe par hasard sur le manuscrit d’un vieil homme solitaire qui vient de décéder. Un livre sur la guerre d’Algérie qu’il va signer de son nom et envoyer à un éditeur qui va le rappeler, enthousiaste. Ellipse. Mathieu est publié et est devenu le nouvel espoir de la littérature française. Les critiques sont dithyrambiques. Ellipse. Trois ans plus tard, son éditeur attend toujours son nouveau roman. Mathieu vit avec la femme (Ana Girardot) pour laquelle il a eu un véritable coup de foudre alors qu’il n’était encore qu’un inconnu, et il fait désormais partie intégrante de sa riche famille. C’est lors d’un été dans leur magnifique villa dans le sud que les premières menaces vont apparaître, que la façade lisse de l’homme idéal risque de se fissurer. Mathieu va alors devoir plonger dans une spirale mensongère et criminelle pour préserver son secret. A tout prix. Jusqu’où peut-on aller pour réussir  à une époque où la réussite se doit d’être éclatante, instagramée, twittée, facebookée? Pour Mathieu, au-delà des frontières de la légalité et de la morale, sans aucun doute…et pour le plus grand plaisir du spectateur.

     

    Cela commence sur les chapeaux de roue. Sur une route déserte, bouleversé, Mathieu roule à vive allure. La caméra le filme au plus près. Elle l’encercle. Elle l’enserre. D’emblée, nous sommes avec lui. D’emblée, le film est placé sous le sceau de la vitesse, de l’urgence, de la solitude, de la prison, de la menace, de la noirceur, du drame. Il n’en faudra pas beaucoup plus pour que le spectateur soit en empathie avec lui. Les plans suivants le montrent dans son travail de déménageur et surtout acharné à écrire, envoyant ses manuscrits à des maisons d’édition, rappelant, voire harcelant, les maisons d’édition qui lui envoient la traditionnelle lettre (« Le comité de lecture est au regret de… »). Les films s’évertuent souvent à nous montrer à quel point la création, en particulier littéraire, est un acte jubilatoire et un symbole de réussite (nombreux sont les films à se terminer par l’envol d’un personnage qui, de mésestimé, voire méprisé, devient estimable et célèbre en publiant son premier roman), ce qu’elle est (aussi), mais ce film a l’intelligence de montrer que cela peut également être une terrible souffrance, notamment lorsque le talent et/ou le succès ne sont pas au rendez-vous. La vitre de son appartement cassée par Mathieu dans un mouvement de rage, son obstination forcenée, sa hargne nous laissent dès le début entendre que le solitaire et travailleur Mathieu, face à ses échecs, ne va peut-être pas rester aussi lisse et irréprochable qu’il le paraît…

     

    Dès ce premier plan dans cette voiture, Yann Gozlan et Pierre Niney attrapent littéralement le spectateur pour ne plus le lâcher. Les séquences se suivent, d’une précision et d’une efficacité redoutables, souvent séparées par de judicieuses ellipses. Le spectateur est enfermé avec Mathieu, dans le mensonge, dans le cadre. Pierre Niney est de tous les plans ou presque. L’identification est immédiate. La réalisation de Yann Gozlan l’enferme physiquement pour souligner son enfermement mental.

     

    Yann Gozlan (qui a coécrit le scénario avec Guillaume Lemans et Grégoire Vigneron) est indéniablement cinéphile et les multiples références à des classiques du 7ème art sont autant de clins d’œil intégrés au récit (et bien sûr il ne s’agit pas ici de s’y mesurer ou de prétendre à la comparaison avec ces chefs d’œuvres) : « Plein soleil » pour l’usurpation d’identité, le désir de réussite sociale et même une scène très précise qui rappelle la fin du film de René Clément, « La Piscine » pour le cadre trompeusement idyllique du sud de la France, une scène autour de la piscine et le « combat » insidieux des deux hommes pour une femme, « Match point » pour la chance et la famille bourgeoise qui intègre comme un des siens un gendre en apparence (seulement) idéal, « Tess » pour une tâche de sang, Hitchcock pour l’atmosphère… Deray, Clément, Allen, Hitchcock, Polanski : de brillantes références qui imprègnent la mise en scène d’élégance fallacieuse à l’image de celle du personnage principal, sombre et solaire. Alternance de scènes dans la lumière éblouissante, sensuelle, de la chaleur estivale du sud de la France et de scènes dans l’obscurité nocturne, glaciale. La lumière change au gré des émotions de Mathieu. Je vous laisse découvrir laquelle des deux, l’ombre ou la lumière, gagnera…

     

    Le talent qu’il n’a pas pour écrire, Mathieu l’a pour mettre en scène ses mensonges, se réinventant constamment, sa vie devenant une métaphore de l’écriture. N’est-elle pas ainsi avant tout un arrangement avec la réalité, un pillage ? De la vie des autres, de soi-même. Ne faut-il pas avoir réellement écrit et souffert (peut-être de « faux-semblants » ou d’autres choses) pour écrire ? Au-delà de l’aspect thriller palpitant, vraiment réussi (certes jalonné d’invraisemblances mais à l’image du MacGuffin chez Hitchcock, peu importe qu’il y ait des leurres pourvu que le spectateur soit embarqué et que cela y contribue, et en l’occurrence le rythme frénétique procuré par un montage habile ne nous laisse pas le temps de réfléchir), « Un homme idéal » est aussi un film sur l’écriture, plus largement sur la création, et c’est aussi ce qui m’a embarquée (et passionnée) dès le début. Sans oublier cette référence à un de mes livres de chevet, « Martin Eden », sans aucun doute le plus beau roman sur la fièvre créatrice et amoureuse, celles qui emprisonnent, aveuglent et libèrent tout à la fois.

     

    La mise en scène précise, signifiante, le scénario, terriblement efficace, allant à l’essentiel, ne laissant pas le temps de réfléchir, comme si nous étions dans le même étau inextricable que Mathieu, ne seraient pas aussi réussis si l’acteur pour incarner cet « homme idéal » n’avait été aussi judicieusement choisi. Pierre Niney possède l’élégance discrète et troublante et l’ingénuité mystérieuse apparente, essentielles au rôle. De lui émane le charme solaire, insondable, trouble et troublant de Tom Ripley (Alain Delon dans « Plein soleil »), la vulnérabilité de Jean-Paul (Delon bis dans « La Piscine »), l’ambition destructrice et machiavéliquement imaginative de Chris Wilton (Jonathan Rhys-Meyer dans « Match point »,) le tout grâce à une intelligence de jeu à part qui fait qu’il ne ressemble à aucun autre comédien, qu’il peut aussi bien incarner un personnage lunaire, un idéaliste, un menteur, un timide artiste, Hyppolite dans « Phèdre » et jongler avec les Alexandrins (j’espère d’ailleurs, après la démission de celui qui fut le plus jeune Pensionnaire de la Comédie Française, le revoir au théâtre tant j’avais été littéralement estomaquée par ses performances –le mot n’est pas trop fort pour son travail, intellectuel et physique, dans « Un chapeau de paille d’Italie »-) ou encore un héros de comédie romantique…avec la même élégance, justesse et modernité. Face à lui, Ana Girardot incarne comme il se doit l’objet de son amour fou, gracieuse et au charme évanescent.

     

    Avec ce deuxième long-métrage (après « Captifs » sorti en 2010), Yann Gozlan a réussi son pari d’un thriller à la Française (le cinéma français en a connu tant de brillants même si le genre est un peu délaissé : Clouzot, Chabrol hier…, Dominik Moll aussi aujourd’hui). Un film sombre et solaire haletant sur un homme fou d’amour et épris de succès qui, pour rester dans la lumière, va devoir puiser dans ses zones les plus sombres. Un film aussi truffé de références qui raviront les cinéphiles, porté par un acteur, Pierre Niney, qui par la justesse de son jeu, masquant habilement le mensonge derrière son élégance et son ingénuité, comme la caméra de Gozlan, captive et même capture le spectateur et son empathie, et, en filigrane, une passionnante réflexion sur la création. Amis bienveillants, faites-moi confiance, prenez dès aujourd’hui rendez-vous avec « l’homme idéal » bien plus sombre, complexe, mystérieux (et donc intéressant) que son titre le laisse penser (et n’oubliez pas de lire « Martin Eden » si ce n’est déjà fait). Un divertissement haut de gamme à voir et revoir.

     

    Autres critiques liées à celles-ci  :

     

    « Les Emotifs anonymes » de Jean-Pierre Améris

     

    « L’autre monde » de Gilles Marchand

     

    « J’aime regarder les filles » de Frédéric Louf

     

    « Comme des frères » de Hugo Gélin

     

    « Yves Saint Laurent » de Jalil Lespert

     

    « Tess » de Roman Polanski

     

    « Match point » de Woody Allen

     

    « La Piscine » de Jacques Deray

     

    « Plein soleil » de René Clément

     

    « Phèdre » de Racine (Comédie Française)

     

    « Un chapeau de paille d’Italie » d’Eugène Labiche et Marc-Michel (Comédie Française)

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  • Critique de UN HOMME IDEAL de Yann Gozlan

    Cliquez sur l'affiche ci-dessous pour lire ma critique du film publiée sur Inthemoodlemag.com.

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  • Critique de COMME DES FRERES de Hugo Gélin sur Ciné + Emotion à 20H45

    Ce soir, sur Ciné + Emotion, ne manquez pas un de mes grands coups de cœur de l'année 2012 dont ce sera le premier passage télévisé. Vous pourrez notamment y retrouver Pierre Niney, actuellement à l'affiche d ' "Yves Saint Laurent" qui, au passage, connaît un vrai succès au box office. Retrouvez ma critique de "Comme des frères" publiée lors de la sortie du film, ci-dessous.

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    Nombreuses sont les comédies françaises à être sorties depuis le début de l’année  (sans doute le reflet d’une frilosité des producteurs se disant qu’en période de crise, le public est friand de ce genre) et rares sont malheureusement celles à se démarquer et surtout à être autre chose qu’une suite de sketchs (certes parfois très drôles), sans véritable scénario ni mise en scène. Je vous parle d’ailleurs rarement de comédies ici mais je tenais à le faire pour celle-ci pour différentes raisons…

     « Comme des frères », c’est l’histoire de trois hommes de trois générations différentes, Boris (François-Xavier Demaison), Elie (Nicolas Duvauchelle) et Maxime (Pierre Niney) qui, a priori, n’ont rien en commun, rien si ce n’est Charlie (Mélanie Thierry), à qui ils étaient tous liés par un sentiment fort et singulier, et qui vient de mourir. Comme elle le leur avait demandé, ils décident de faire ensemble ce dernier voyage qu’elle aurait voulu faire avec eux, direction la Corse et la maison que Charlie aimait tant. 900kms ensemble avec, pour point commun, l’ombre de la lumineuse Charlie, leur chagrin…un voyage après lequel plus rien ne sera tout à fait pareil.

    Dès le début de ce film se dégage un charme inexplicable (pléonasme, non ?) qui vous accroche et attache aux protagonistes pour ne plus vous lâcher… Les frères Dardenne (dans un genre de film certes radicalement différent) répètent souvent que ce sont les personnages qui comptent avant les idées et, si la plupart des comédies se contentent d’une bonne idée et d’un bon pitch, négligeant leurs personnages, ici, dans l’écriture du scénario, Hérvé Mimran ( coauteur/coréalisateur d’une autre comédie très réussie qui d'ailleurs présentait aussi cette qualité:  « Tout ce qui brille »), Hugo Gélin et Romain Protat, se sont d’abord attelés à construire des personnages forts et particulièrement attachants : le jeune homme lunaire de 20 ans, le trentenaire scénariste noctambule, et l'homme d’affaires, quadragénaire et seul. Trois personnages qui, tous, dissimulent une blessure.

     Le chagrin et la personne qui les réunissent annihilent la différence d’âge même si elle est prétexte à un gag récurrent (et très drôle) sur les goûts parfois surannés du personnage de François-Xavier Demaison qui apporte toute sa bonhomie mélancolique et attendrissante et la justesse de son jeu à cet homme qui n’arrive pas -plus- à aimer depuis Charlie. L’autre bonne idée est en effet le casting : outre François-Xavier Demaison, Nicolas Duvauchelle est également parfait, et surtout Pierre Niney ( pensionnaire de la comédie française depuis 2010), découvert au Festival du Film de Cabourg 2011 (où il a cette année reçu le prix de la révélation masculine) dans le très beau premier long-métrage de Frédéric Louf « J’aime regarder les filles » dans lequel il incarnait un personnage d’une maladroite élégance, à la fois léger et grave, immature et obstiné, autodestructeur et volontaire, audacieux et inconscient. Ici il est lunaire, burlesque même, immature (mais finalement pas tant que ça), attachant, et cache  lui aussi derrière sa maladresse, une blessure. Pas étonnant que les propositions pleuvent après sa nomination aux César 2012 pour cet acteur par ailleurs humble et sympathique, ce qui ne gâche rien…

     Si je vous parle du film de Frédéric Louf, c’est qu’il présente un autre point commun avec le film d’Hugo Gélin : cette vitalité si chère à Truffaut (« Le cinéma c’est la vitalité » disait-il) qui parcourt tout le film. Une vitalité, un sentiment d’urgence, une conscience du dérisoire de l’existence, de sa beauté mélancolique aussi, et de la tendre ironie qu’inspirent souvent les drames de l’existence, qui changent à jamais le regard sur celle-ci, et que ce film parvient magnifiquement à retranscrire.

     Hugo Gélin ne recourt jamais au pathos, l’écueil dans lequel il aurait été si facile de tomber avec un tel sujet, mais montre au contraire qu’une révoltante et cruelle injustice de l’existence, peut donner une autre saveur à celle-ci , le goût de l’essentiel et qu’elle peut avoir la capacité  de (re)créer des liens, ici quasiment fraternels. Plutôt que de nous montrer Charlie malade et agonisante, il nous la montre telle que la voyaient ses trois amis, radieuse, viscéralement vivante et lumineuse, par une série de flashbacks judicieusement amenés qui retracent le lien si particulier que chacun d’entre eux entretenait avec elle mais aussi la manière dont le quatuor devenu trio s’est construit avec, notamment, la très belle scène chaplinesque sur leur première rencontre, intelligemment placée au dénouement.

     Le scénario (qui a le mérité d’être original, de n’être pas l’adaptation d’une BD ou d’un livre, ou la transposition de sketchs d’humoristes désireux de passer derrière et/ou devant la caméra comme c’est très-trop-souvent le cas), sensible, qui nous révèle les liens entre les personnages par petites touches et alterne intelligemment entre rires et larmes, est aussi servi par des dialogues savoureux. Tant pis si certains aspects sont peut-être plus prévisibles comme le prénom donné au bébé de l’un d’entre eux, cela fait aussi partie des codes de ce genre de film.

    De ces trois (quatre)-là, vraiment irrésistibles, émane une belle complicité, une alchimie même, à cause de laquelle ou plutôt grâce à laquelle nous les laissons avec regrets nous frustrant presque de n'en  savoir pas plus… Un quatuor qui m’a parfois rappelé celui de « Père et fils » de Michel Boujenah qui mettait ainsi en scène un père et ses trois fils. Le tout est servi par une belle photographie signée Nicolas Massart ( avec des plans que certains cyniques jugeront sans doute clichés, comme ce plan de soleil, reflet d’un nouveau jour et de l’espoir qui se lèvent), un film d’une gravité légère à la fois tendre et drôle, pudique et espiègle: en tout cas, charmant et qui prouve qu'une comédie peut sonner juste et actuelle sans recourir systématiquement au trash ou au cynisme.

    Ajoutez à ce casting impeccable, ce scénario et ces dialogues réjouissants, cette photographie, la musique ensorcelante du groupe Revolver (quelle bonne idée d'ailleurs! J’en profite pour vous signaler qu’ils seront à l’Olympia le 25 octobre prochain !) et vous obtiendrez ce road movie attachant et riche d'espoirs, cet hymne à l'amitié et la comédie tendrement mélancolique de l’année.

    En salles le 21 novembre 2012

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  • Critique de J'AIME REGARDER LES FILLES de Frédéric Louf avec Pierre Niney, Audrey Bastien, Lou de Laâge ..., à 20H45, sur Ciné plus Emotion

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    L’été est désormais l’occasion pour les majors de sortir certaines de leurs grosses productions …mais c’est aussi et  heureusement l’occasion pour des films aux budgets et à la promotion moins conséquents d’émerger. Ce fut le cas pour « Le premier jour du reste de ta vie » de Rémi Bezançon en 2008 et j’aurais vraiment aimé que ce fut le cas l'été 2011 pour « J’aime regarder les filles », premier long-métrage de Frédéric Louf, un film que j’avais découvert dans le cadre du  Festival du Film de Cabourg où il était présenté, dans la section Panorama. Mon coup de cœur du festival. Un coup de foudre même. Une belle évidence. Pas de budget ni de promotion pharaoniques mais un film écrit et réalisé avec sincérité, et brillamment interprété.  Et indéniablement le film le plus romantique de ce festival : celui qui évoquait le mieux les tourments de l’âme et du cœur, et qui fait preuve  de sensibilité (agréablement) exacerbée. Et vous faire découvrir et partager mon enthousiasme pour des films comme celui-ci est sans doute la plus belle raison d’être de ce blog.

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    L’action du film  débute la veille du 10 mai 1981, en plein bouillonnement électoral. C’est ce jour-là que Primo (Pierre Niney) et Gabrielle (Lou de Laâge) se rencontrent, suite à la belle audace et inconscience de Primo qui s’immisce dans une fête à laquelle il n’était pas invité. Ils ont 18 ans. L’âge de tous les possibles. Tous les excès. Toutes les audaces. Primo va bientôt passer le bac. Gabrielle fait partie de la bourgeoisie parisienne. Lui est fils de petits commerçants de province. Primo est ébloui par le charme de Gabrielle. Il va s’inventer une vie qui n’est pas la sienne… Et puis, dans l’ombre, il y a Delphine, amie de Gabrielle (Audrey Bastien)…

    Frédéric Louf arrive à transcrire la fébrilité et la fougue de la jeunesse, cet âge où tout est possible, à la fois infiniment grave et profondément léger, où tout peut basculer d’un instant à l’autre dans un bonheur ou un malheur pareillement excessifs, où les sentiments peuvent éclore, évoluer ou mourir d’un instant à l’autre, où tout est brûlant et incandescent. De son film et de ses interprètes se dégagent toute la candeur, la fraîcheur mais aussi parfois la violence et l’intransigeance de cet âge décisif.

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    La littérature cristallise magnifiquement les sentiments avec notamment les références à une des œuvres les plus marquantes du romantisme « On ne badine pas avec l’amour » de Musset, judicieux parallèle pour cette histoire qui , dans une certaine mesure, peut rappeler celle de Camille et Perdican, mais aussi pour la présence de la violence sociale, présente dans l’œuvre de Musset et ici également en arrière-plan avec l’éveil de Primo à la politique grâce au personnage de Malik (là encore un choix judicieux : Ali Marhyar). C’est donc l’histoire (avant tout) d’une « éducation sentimentale » mais aussi d’une éducation politique, l’un et l’autre symbolisant un bel et fol espoir. Celui du 10 mai 1981. Et celui de cet amour naissant.

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    Au sommet de la distribution, Pierre Niney (que vous avez pu notamment voir dans « les Emotifs anonymes » de Jean-Pierre Améris et « L’autre monde » de Gilles Marchand, plus jeune pensionnaire de la comédie française mais pas seulement, cf interview ci-dessous) qui incarne Pierre, personnage éminemment romantique capable notamment de se jeter par la fenêtre, d’une touchante maladresse et d’une maladroite élégance, à la fois léger et grave, immature et obstiné, autodestructeur et volontaire, audacieux et inconscient…mais aussi Audrey Bastien (que vous avez déjà pu voir dans « Simon Werner a disparu ») qui incarne une Delphine à la fois forte et fragile, mystérieuse et déterminée.

     A eux deux, ils incarnent toutes les nuances, les excès, les passions, la vulnérabilité et la force de la jeunesse avec un naturel confondant et avec ce petit quelque chose en plus, si rare et précieux, qui se nomme la grâce. N’oublions pas non plus Lou de Lâage,  dont le personnage, à l’image de ceux précités, évite intelligemment l’écueil du manichéisme.  Michel Vuillermoz, Johan Libéreau, Ali Maryhar notamment complètent cette épatante distribution !

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    Le caractère de Primo (inconscient, follement romantique, maladroit, déterminé) rappelle Antoine Doinel et en particulier le Doinel de « Baisers volés ». La vitalité qui se dégage du film, les références à la littérature, cette apparente légèreté doublée d’une réelle profondeur procurent à ce film un bel air truffaldien.

    Le tout est  servi par des dialogues particulièrement bien écrits. Agnès Jaoui qui a écrit ce qui est à mon sens un des films avec les meilleurs dialogues qui soient (« Le goût des autres », chef d’œuvre du genre à voir absolument si ce n’est déjà fait) ne s’y est pas trompé: elle est la marraine du film.  Le film a par ailleurs reçu le label « Cinéaste de demain » décerné par Canal +, UGC et un collectif de cinéastes.

    Un film simple, touchant, drôle (je ne l’ai pas assez dit, mais oui, vraiment aussi drôle) qui a la grâce des 18 ans de ses personnages, à la fois fragiles et résolus, audacieux, d’une émouvante maladresse, insouciants et tourmentés et qui incarnent à merveille les héros romantiques intemporels même si le film est volontairement très ancré dans les années 80 à l’image du tube de Patrick Coutin « J’aime regarder les filles » qui a donné son titre au film.

    Un film au romantisme assumé, imprégné de littérature, avec un arrière-plan politique, avec un air truffaldien, voilà qui avait tout pour me plaire, sans oublier ce petit plus indicible, le charme peut-être, la sincérité sans doute, et le talent évidemment, ingrédients d’un coup de foudre cinématographique comme celui-ci.

    Je crois que vous l’aurez compris : c’est LE film de cet été à ne pas manquer… Et quand ses jeunes interprètes seront nommés comme meilleurs jeunes espoirs aux prochains César et/ou le film comme meilleur premier film (je ne vois pas comment il pourrait en être autrement) vous ne pourrez pas dire que je ne vous avais pas prévenus!

    Et juste pour le plaisir de la beauté et clairvoyance redoutables des mots de Musset :

    « Adieu Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu'on te fera de ces récits hideux qui t'on empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de ces deux êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelques fois : mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. » On ne badine pas avec l'amour (acte 2 scène V)- Alfred de Musset (1810-1857)

    INTERVIEWS DE PIERRE NINEY ET FREDERIC LOUF

     

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    Ci-dessus: Audrey Bastien, Pierre Niney et Frédéric Louf lors de la présentation du film en avant-première, au Festival du Film de Cabourg.

     Pour achever de vous convaincre, je vous propose ci-dessous de retrouver mes interviews du réalisateur Frédéric Louf et de l’acteur principal Pierre Niney. Je les remercie encore une fois  d’avoir pris le temps de me donner ces réponses précises et enthousiastes, qui, je pense, devront vous donner une idée du ton du film, à leur image…

    martineden.jpgUne petite parenthèse à propos de la référence à « Martin Eden » de Jack London (que vous pourrez lire dans l’interview de Pierre Niney), un chef d’œuvre parfois méconnu, un des trois romans que je relis le plus souvent et que je vous conseille vraiment de découvrir . Dès l’instant où mes yeux se sont posés sur ce roman, le ténébreux « Martin Eden », je n’ai pu les en détacher, le dévorant littéralement jusqu’à la dernière ligne. Pour ne pas en gâcher le plaisir de la découverte, je ne vous en résumerai pas l’histoire. C’est à la fois une brillante histoire romanesque et une peinture de la société, de son hypocrisie, de la superficialité de la réussite, des bas-fonds de San Francisco aux salons de la bourgeoisie. C’est l’itinéraire d’un être passionné et idéaliste qui sombrera dans le désappointement. C’est un roman d’un romantisme désenchanté empreint de passion puis de désillusions. C’est aussi et avant tout un roman sur la fièvre créatrice et amoureuse qui emprisonnent, aveuglent et libèrent à la fois. Le roman le plus autobiographique de Jack London publié en 1909 et réédité aux Editions Phébus (collection Libretto). Je vous le recommande vivement.

     

     

    INTERVIEW DE PIERRE NINEY (Primo dans le film)

    niney3.jpgBiographie (source : Wikipédia et Allociné et interview/photo ci-contre: extraite du film "J'aime regarder les filles") Pierre Niney a débuté le théâtre à l'âge de onze ans en suivant  une formation avec la Compagnie Pandora et travaille sur des mises en scène avec Brigitte Jaques-Wajeman et François Regnault. Admis aux auditions de la Classe Libre des Cours Florent où il y étudie pendant deux ans, puis au Conservatoire National d'Art Dramatique (CNSAD). Il est engagé dans la troupe de la Comédie-Française en octobre 2010.

    Au théâtre : il joue sous la direction de Julie Brochen à la Cartoucherie de Vincennes, Vladimir Pankov au Théâtre Meyerhold à Moscou, et Emmanuel Demarcy-Mota. Après avoir travaillé pour des téléfilms et courts-métrages diffusés à la télévision (Nicolas Klotz...) il décroche plusieurs rôles au cinéma, il joue dans le long-métrage "LOL" de Lisa Azuelos et il tourne entre autres, dans l’excellent film de Robert Guédiguian intitulé "L'Armée du Crime", sélectionné au Festival de Cannes 2009 mais également dans « L’Autre monde » de Gilles Marchand (ma critique, ici) (sélectionné au Festival de Cannes 2010) puis dans "Les Émotifs anonymes" (ma critique, ici) avec Benoît Poelvoorde et Isabelle Carré. Ces trois derniers films témoignent du caractère judicieux de ses choix.

    Pierre Niney rejoint la troupe de la Comédie-Française le 16 octobre 2010 en devenant le plus jeune pensionnaire actuel du lieu. Il créé actuellement un festival de court-métrage à Vanves pour 2012/2013 (je vous en reparlerai). Il jouera, début juin 2012, au théâtre de Vanves, une pièce qu’il a écrite et mise en scène « Si près de Ceuta ». Vous le retrouverez dans « Les neiges du Kilimandjaro » de Robert Guédiguian qui sort en salles le 16 novembre prochain. Et cet été, il tournera un long-métrage intitulé "Comme Des Frères" réalisé par Hugo Gélin avec également Nicolas Duvauchelle, Francois-Xavier Demaison et Mélanie Thierry dans la distribution.

     1. Inthemoodforcinema.com : « J’aime regarder les filles » a été présenté en avant-première au Festival du Film de Cabourg, dédié au cinéma romantique. Pour moi, c’était  le film de cette sélection correspondant le plus à la définition de cinéma romantique (synonyme d’une grande sensibilité et des tourments de l’âme et du cœur). En quoi votre personnage, pour vous, l’est-il ? Cette caractéristique de votre personnage a-t-elle beaucoup orientée votre manière de l’interpréter ?

     Pierre Niney: Primo est un grand romantique. Mais pas dans sa forme la plus classique. C'est ce qui m'a beaucoup séduit dans le scénario de Fréderic Louf. Il aime de tout son cœur et il est capable de beaucoup quand il est dans cet état. Une porte fermée ne l'arrêtera pas tant qu'il pourra escalader la face de l'immeuble, peu importe l'étage.

    Il est aussi profondément sensible à la littérature et capable de retenir des vers entier d'Alfred de Musset qui parlent d'amour, cependant c'est aussi un personnage capable d'une vraie violence dans ses rapports aux autres, et d'un réel égoïsme, qu'il parvient a combattre au fur et a mesure du film et des différentes rencontres qu'il fait. Evidemment tout cela a influencé ma manière de jouer Primo car ces aspects du personnage le définissent en grande partie.

    2. Inthemoodforcinema.com: Même si votre jeu est très différent de celui de Jean-Pierre Léaud, j’ai beaucoup songé au cinéma de Truffaut de par le caractère de votre personnage, la présence de la littérature, la vitalité qui se dégage du film. Est-ce une référence pour vous en général et en était-ce une à la lecture du scénario ?

    Pierre Niney: Le lien entre l'univers de Truffaut et le film de Fréderic Louf me plait bien (évidemment!) et me parait justifié à certains niveaux.  Le ton de "J'aime Regarder Les Filles" ainsi que le personnage de Primo peut,  je pense, faire penser aux aventures du très "vivant" Antoine Doinel.

    L'image d'un Jean Pierre Léaud fougueux et maladroit m'a traversé l'esprit plus d'une fois à la lecture du scénario. Primo, le personnage que j'incarne dans le film, partage certains traits de caractère avec lui. Une certaine naïveté mêlée à une réelle détermination capable de surprendre le public mais aussi le personnage lui même, voilà ce qui pour moi faisait un écho possible entre les deux univers et les deux "héros" que sont Primo et Antoine Doinel.

    Au delà de ça, une fois sur le plateau je me suis beaucoup éloigné de cette référence (et des autres) et je n'ai jamais eu en tête les films de Truffaut quand il s'agissait de jouer les scènes. Le plus évident sur le tournage et dans le travail avec Frederic, était de se lancer dans les scènes avec pour seul but de réagir au présent, en lien direct avec la situation et les différents caractères des personnages. Rester vif et toujours dans une optique d'extrême, d'absolu qui est propre à la jeunesse.

    3. Inthemoodforcinema.com:  Votre personnage est assez complexe, à la fois léger et grave, immature et obstiné, autodestructeur et volontaire. On a l’impression que votre jeu est très « fluide », évident. Quelles difficultés, s’il y en a eu, cela présentait-il ? Y a-t-il une manière de se préparer à un rôle comme celui-ci ?

    Pierre Niney: Primo ne m'est pas totalement inconnu. Son énergie, son goût pour " l'escalade d'immeubles en plein Paris", son obstination à obtenir quelque chose qui lui parait important, son indécision aussi parfois, sont autant d’aspects du personnage que je partage avec lui . Et ce fut la bonne surprise du scénario. Pour toutes les scènes qui faisaient appel à ces traits du personnage, je me suis donc rapidement amusé, dès les répétitions, à jouer avec, à les exagérer ou les cacher aux autres personnages.

    Lee Strasberg écrit une phrase que j'aime bien (au risque de me la péter un peu) :  "Il faut partir de soi...mais il faut partir." De cette même façon, mon travail s'est ensuite porté sur ce qui m'était plus étranger chez Primo (et ce qui est souvent captivant pour un acteur). J'ai posé des questions à Fréderic sur sa façon de voir la maladresse de Primo, je lui demandais "comment est ce qu'il pourrait marcher?", "Est ce qu'à table il est du genre à tripoter ses couverts ou sa serviette?" et nous avons avancé de cette manière, parfois à travers ce genre de détails qui nous plaisaient à tout les deux et capables de raconter le mal-être de Primo ou son réel romantisme...

    4. Inthemoodforcinema.com : J’ai été très impressionnée par la justesse de l’interprétation de toute la distribution, paradoxalement par la maturité nécessaire pour incarner des personnages parfois immatures mais qui reflètent aussi la fougue, la fébrilité, l’exaltation, les excès et les passions de la jeunesse. Au-delà du talent de chacun, la direction de Frédéric Louf n’y est sans doute pas étrangère. En quoi est-elle particulière ? Vous laissait-il improviser ? Ou tout était-il au contraire très écrit ?

    Pierre Niney: Fréderic a souhaité travailler de nombreuses scènes avec nous avant le début du tournage. Ce qui a permis de créer une réelle atmosphère de travail et de bienveillance entre Lou, Audrey, Ali, Victor et moi, avant même d'arriver le jour J sur le plateau du film.

    Cela a été une très bonne idée et nous avons pu explorer différentes pistes sur les scènes les plus riches du scénario et choisir ce qui plaisait le plus a Fred.

    Sur le plateau, au moment du tournage, Fred laisse une grande liberté de jeu car c'est un grand fan de comédie et un fin observateur d'acteurs en général. L'instant présent du jeu, de la situation et de l'échange entre les comédiens est très précieux pour lui. Il nous laissait donc parfois poursuivre la scène en impro, voir jusqu'ou nous pouvions amener la séquence : ainsi la scène de la bouteille à "1800 francs" est une prise où Ali et moi improvisons toute la fin de la scène : la dégustation du vin…etc.

    Fred a toujours une idée précise de ce qu'il veut raconter avec telle scène ou tel plan du film, il sait ce qu'il veut raconter mais il laisse l'instrument de l'acteur lui proposer des notes auxquelles il n'aurait pas forcément pensé, et c'est aussi là sa grande force. Il est réellement ouvert aux propositions tout en sachant où il veut aller.

    5. Inthemoodforcinema.com : La littérature est très présente, surtout Musset qui est une sorte de catalyseur ou d’élément cristallisateur notamment dans une scène entre Audrey Bastien et vous, pour moi une des plus belles du film. Frédéric Louf se référait-il à la littérature dans sa direction d’acteurs, en amont ou peut-être dans la façon de diriger votre jeu sur le tournage ? Et vous, cela a-t-il influé sur votre jeu d’une manière ou d’une autre? Aviez-vous des références littéraires en tête en incarnant votre personnage ?

    Pierre Niney: Le rapport de Fréderic à la littérature m'a beaucoup touché. Dès la lecture du scénario j'ai trouvé que c'était un point fort du film et de son personnage principal : Primo. Je suis un fan inconditionnel de Musset et de cette tirade, d'une lucidité et d'une beauté absolument parfaite, qui apparait dans le film : "Tout les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches..."

    Fred a évoqué le personnage de Martin Eden tiré du roman autobiographique de Jack London, a plusieurs reprises. Dans une première version du scénario je devais d'ailleurs offrir ce livre à la fin du film lorsque Primo reviens chez Delphine pour leur scène finale.

    Les personnages de "J'aime Regarder Les Filles" flirtent avec quelque chose d'éternel, d'intemporel grâce a cet aspect du scénario et, par exemple, à ce rapprochement avec un couple romantique comme celui de Camille et Perdican dans "On ne badine pas avec l'amour" de Alfred de Musset.

    6. Inthemoodforcinema.com : Le film débute la veille du 10 mai 1981 et est à la fois très ancré dans cette époque et, d’une certaine manière, intemporel. Est- ce que cet ancrage temporel changeait quelque chose pour vous, dans votre manière d’interpréter Primo ?

    Pierre Niney: A vrai dire, pas vraiment. Bien que "J'aime Regarder Les Filles" soit un film dont la trame de fond est politique et où certaines scènes ancrent très bien l'histoire dans l'ambiance et dans le renouveau politique que représente cette période, il s'agit d'un film entre jeunes gens, qui parle de leurs désirs (souvent contradictoires). En cela les enjeux sont accessibles pour un acteur sans prendre particulièrement en compte l'époque. Apres je me suis évidemment replongé dans Cindy Lauper, Jean Jacques Goldman, les vrais-faux meetings politiques de Coluche et les expressions des jeunes acteurs de La Boum pour me nourrir à fond de ces " vibes eighties! "

    7. Jean-Pierre Améris et Robert Guédiguian : vous avez notamment, tourné avec deux autres excellents directeurs d’acteurs (en plus d’être aussi de grands cinéastes). J’imagine que chacun d’entre eux vous a apporté quelque chose ? Que vous ont-ils appris, peut-être plus ou moins inconsciemment ? Et que vous a apporté cette expérience avec Frédéric Louf et en quoi changera-t-elle (peut-être) votre manière de jouer ou d’envisager les rôles à l’avenir ?

    Tourner avec Robert Guédiguian est toujours un réel plaisir et la sensation certaine de faire partie de quelque chose de "grand". Il y a sur son plateau l'idée d'une solidarité entre tout le monde, d'une famille presque, et souvent l'envie de défendre un scénario, une histoire entière et non pas une partition isolée.

    Dans "Les Emotifs Anonymes" avec Benoit Poelvoorde et Isabelle Carré, je pense avoir appris sur la façon de diriger un plateau de cinéma quand on est réalisateur. Jean-Pierre Améris est quelqu'un de relativement timide (d'où son film!) or il gérait son équipe avec une main de maître, et arrivait toujours à donner la dynamique qu'il voulait sur le plateau par le biais de l'humour ou autre…

    Je suis content d'avoir pu observer cela car j'aimerais vraiment passer à la réalisation dès que j'aurais un peu plus de temps pour m'occuper de mes projets sérieusement. Et je suis justement entrain de créer un Festival de court-métrage au Théâtre/Cinéma de Vanves pour 2012-2013, où je compte bien passer derrière la caméra, accompagné d'autres invités à moi : Guillaume Gouix, Grégoire Leprince Ringuet, Melvil Poupaud…(suite du "casting" a venir)…

    Sans changer foncièrement ma façon d'aborder un rôle et ma méthode de travail je peux dire que le tournage de "J'aime regarder les filles" m'a définitivement décidé à faire ce métier toute ma vie. Avec Fréderic je me suis senti dans une relation de confiance totale et donc dans le seul souci de raconter au mieux l'histoire de Primo. J'ai aussi réaliser qu' un rôle principal est un réel luxe pour un acteur : travailler son personnage dans le détail, gagner la confiance d'une équipe de tournage, d'un réalisateur…et c'est pourquoi je respecte encore plus qu'avant les performances des seconds rôles dans les films, qui est un défi toujours très délicat et superbe à voir quand il est réussi.

    8. Inthemoodforcinema.com :   Les émotifs anonymes, L’autre monde, L’armée du crime, nos 18 ans, LOL etc . Vous avez déjà tourné dans des films aux styles très divers et avez incarné des personnages très différents. Y a-t-il un type de rôle que vous reverriez d’incarner ou un cinéaste (ou plusieurs) avec qui vous rêveriez de tourner ?

    Pierre Niney: J'aime bien faire le caméléon et participer a un maximum de projets artistiques, tant qu'ils me plaisent et cela peut être pour des raisons très diverses.

    Pas de type de rôle particulier, mais des réalisateurs, oulaaa!…Beaucoup : Audiard, Inarritu (21 grammes est un pur chef d'oeuvre), Terry Gilliam, Michel Gondry (dans sa période "Eternal Sunshine"), et j'ai très envie de me frotter un jour a un gros projet type blockbuster américain! Voir l'ampleur de la machine et la place d'un acteur la dedans, ca doit être assez intéressant.

    9. Inthemoodforcinema.com : J’ai lu que vous aviez  écrit et mis en scène la pièce « Si près de Ceuta » que vous jouerez au Théâtre de Vanves en 2012. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce projet ?

    Pierre Niney: "Si près De Ceuta" est une pièce que j'ai écrite il y a 3 ans et que je continue d'écrire, d'agrémenter et que je veux encore construire quand je vais travailler avec les acteurs sur le plateau. Je la jouerai en effet début juin 2012 au Théâtre de Vanves. La pièce raconte la nuit de deux soldats qui surveillent une frontière et son mur de barbelés. Et de deux hommes qui vont tenter à tout prix de passer cette frontière.

     10. Inthemoodforcinema.com : Vous avez déjà eu pas mal de rôles au cinéma  et encore plus au théâtre. Vous êtes ainsi pensionnaire de la Comédie Française. Pourriez-vous envisager d’abandonner le théâtre pour vous consacrer uniquement au cinéma, ou inversement, ou les deux vous sont-ils aussi nécessaires ?

    Pierre Niney: Pour moi, le théâtre et le cinéma sont totalement complémentaires. Le rapport au travail, les valeurs et la technique demandée au théâtre sont des bonnes choses à apporter sur un plateau de cinéma je pense. Il faudrait, comme en Angleterre, que ces deux mondes soient moins hermétiques. Ian McKellen joue un jour du Beckett dans un petit théâtre et le lendemain Gandalf dans « Le seigneur des anneaux »…ça me parait être une bonne philosophie.

    11.Inthemoodforcinema.com :  Quels sont vos projets cinématographiques ?

    Pierre Niney: Je tourne cet été un long-métrage qui s'appelle "Comme Des Frères" réalisé par Hugo Gélin.  C'est un projet très excitant. Nicolas Duvauchelle, Francois-Xavier Demaison et moi jouons trois amis qui se lancent dans un road trip après le décès de leur meilleure amie commune (Mélanie Thierry). Le film raconte l'histoire de ses trois potes et la raison de cette amitié improbable entre un étudiant de 20 ans, un scénariste télé de 30, et un businessman de 40.

    Et la sortie du prochain film de Robert Guédiguian "Les Neiges Du Kilimandjaro" le 16 novembre prochain. dans lequel il m'a confié une très jolie séquence avec Ariane Ascaride.

    12. Inthemoodforcinema.com :  Le film sort en salles le 20 juillet, une période difficile pour les sorties mais à mon avis propice pour ce genre de film (je songe au succès inattendu du  « Premier jour du reste de ta vie » de Rémi Bezançon à la même période), que diriez-vous pour donner aux spectateurs envie d’aller voir le film ?

    Pierre Niney: Que c'est un film très original car il a à la fois la poésie d'un film d'auteur, le rythme d'un vrai divertissement, l'humour d'une bonne comédie qui séduit aussi par le détail, de vrais dialogues bien écrits (Agnès Jaoui, experte en la matière, qui est marraine du film ne s'y est donc pas trompée!) et l'occasion de voir de jeunes et nouveaux acteurs du cinéma français, le tout en écoutant cette chanson de fou "J'aime regarder les filles" tube des années 80' ! (ca va , c'est suffisant…?)

    13. Inthemoodforcinema.com : Comme « J’aime regarder les filles » était projeté dans le cadre du Festival du Film de Cabourg, je ne peux pas m’empêcher de vous demander quels sont vos films de prédilection en matière de cinéma romantique ?

    Pierre Niney: "Sailor et Lula" de David Lynch et "Eternal Sunshine of a Spotless Mind", qui pour moi est profondément romantique.

    INTERVIEW DE FREDERIC LOUF (réalisateur de « J’aime regarder les filles »)

     Biographie: (Source: programme du Festival du Film de Cabourg 2011) Frédéric Louf a été chroniqueur cinéma au Matin de Paris en 1986, après des études de droit et de commerce. En 1992, il commence à écrire pour la télévision. En 2000, il réalise son premier court-métrage « Les petits oiseaux » présenté en 2001 dans de nombreux festivals y compris le Festival de Cannes. En 2003, Didier Brunner lui confie l’écriture puis la réalisation des 26 épisodes de « GIFT », une série d’animation 3D pour France 2.  « J’aime regarder les filles » est son premier long-métrage dont il a commencé l’écriture en 2006 et qu’il a réalisé durant l’été 2010.

    1. Inthemoodforcinema.com : Votre premier long-métrage « J’aime regarder les filles » était présenté en avant-première au Festival du Film de Cabourg, un festival dédié au cinéma romantique. Selon moi, c’était le film de cette sélection correspondant le plus à la définition de film romantique (synonyme souvent d’une grande sensibilité et mettant en scène les tourments de l’âme et du cœur). Etait-ce un parti pris délibéré dès le début d’écrire un film romantique ? Et si oui, dans quelle mesure vouliez-vous que ce film soit romantique ?

     Frédéric Louf: Je voulais parler dʼimmaturité. Lʼimmaturité est romantique en ce qu’elle pousse à idéaliser, à radicaliser, et à exagérer les sentiments… Lʼamour inconditionnel que Primo porte à Gabrielle est donc fondamentalement romantique et immature. Je ne pouvais donc éviter de faire un film romantique comme je ne pouvais éviter de citer Musset!

    2. Inthemoodforcinema.com : Aucun des personnages n’est manichéen. Delphine est à la fois forte et fragile, Primo grave et léger etc. Comment avez-vous dirigé les acteurs pour parvenir à cette complexité particulièrement crédible ?

    Frédéric Louf: Je ne les ai pas dirigés: je les ai choisis. Sans rire. Lʼexemple le plus clair est Victor Bessière qui joue Paul. Il a la stature de Paul, il en a lʼélégance et la carrure, mais dans la vie il nʼa rien à voir avec un fils à papa: La composition quʼil donne est donc un mélange volontairement bancal entre son physique aristocratique que nous avons évidemment appuyé, et ce quʼil est fondamentalement. Et je crois que cʼest grâce à cela quʼil parvient à être touchant et intéressant malgré la partition un peu rude quʼil a à jouer.

    3. Inthemoodforcinema.com :  L’action du film débute la veille du 10 mai 1981. Le film est à la fois très ancré dans cette époque et, d’une certaine manière, intemporel. Cette époque s’est-elle imposée dès le début et pourquoi ? Avez-vous songé à placer l’intrigue en 2011 ?

    Frédéric Louf : Oui lʼépoque était importante pour moi car elle étaye la conscience politique naissante de Primo: il me fallait pour cela un événement fort et lʼélection de François Mitterrand est évidemment lʼévénement politique français le plus fort de ces 50 dernières années. Choisir 2011 nʼaurait pas eu le même sens et jʼaurais dû faire un film tout à fait différent, notamment en ce qui concerne lʼapproche sensuelle. Je crois en effet quʼon ne se pense pas sexuellement de la même façon en 2011 quʼen 1981, tout simplement parce quʼon nʼa pas les mêmes images en tête. En 2011, mon Primo nʼaurait pas pu être celui dont je rêvais. Ou alors il nʼaurait pas été aussi vrai…

    4. Inthemoodforcinema.com : La littérature est aussi très présente, notamment Musset qui joue un rôle essentiel ? Etait-ce uniquement un procédé scénaristique parce que nous pouvons voir un lien entre l’histoire de votre film et « On ne badine pas avec l’amour » ou cette oeuvre avait-elle une réelle importance, peut-être plus personnelle, pour vous ? L’idée de la littérature, très présente, et qui joue un rôle essentiel et même un rôle de cristallisation, dans une des plus belles scènes du film, entre Delphine et Primo, s’est-elle imposée dès le début de l’écriture ?

     Frédéric Louf: Le texte de Musset est tellement génial que, quand on lʼa lu une fois, on ne peut lʼoublier. Ça a été mon cas, et oui il a une réelle importance sentimentale pour moi. La scène en elle même mʼa causé du souci car je la trouvais «too much» et elle a fait pas mal dʼallers retours avant que je ne lʼassume complètement. Mais je ne pouvais continuer à montrer lʼimportance que Primo attache aux livres (qui sont son principal facteur dʼémancipation), sans faire jouer un vrai rôle dynamique à un de ces livres!

    5. Inthemoodforcinema.com : Comme dans l’œuvre de Musset, la violence sociale est présente dans votre film, mais seulement en arrière-plan, avez-vous songé à en faire un film politique ? Ou aimeriez-vous écrire un film politique ? Peut-être votre prochain projet, s’il est déjà en cours ? Avez-vous commencé l’écriture de votre prochain projet ? Pouvez-vous nous en parler ?

    Frédéric Louf : Jʼadorerais faire un film politique à la Elio Petri, mais je ne pouvais risquer de mettre toutes mes envies dans le même projet… Simplement je ne peux me résoudre à écrire des sujets univoques: il me faut de la complexité, des pistes, et des digressions. Je crois que ça permet aux films en général de continuer leur route dans la tête des gens; dʼavoir des «demi vies» plus longues!

    6. Inthemoodforcinema.com : Notamment en raison de la présence de la littérature mais aussi du caractère du personnage de Primo et de la vitalité qui se dégage de votre film, il m’a parfois fait penser au cinéma de Truffaut, est-ce une de vos références ?

    Frédéric Louf: Il y a une élégance dans le cinéma de Truffaut que jʼenvie beaucoup. Une façon de ne pas acheter le spectateur avec de la verroterie, mais de lui donner lʼimpression quʼil a tout compris par lui même. Cʼest un ciména généreux et respectueux…

    7. Inthemoodforcinema.com : Aviez-vous d'ailleurs des références littéraires (outre Musset) et/ou cinématographiques en tête en mettant le film en scène. Et pour votre direction d'acteurs, leur avez-vous donné des références littéraires ou cinématographiques particulières?

    Frédéric Louf : Aux comédiens, jʼai surtout expliqué le contexte politique du film qui nʼétait pas évident pour des gens aussi jeunes. Bien sûr jʼai suggéré certains films à voir, notamment à Lou et à Audrey… Mais des références précises, cʼest compliqué à dire: la culture, cʼest du sédiment, de la vase: ce qui y pousse provient dʼun tout… Et puis citer des gens, cʼest prendre le risque dʼavoir à supporter la comparaison!

    8. Inthemoodforcinema.com : J’ai été réellement impressionnée par la qualité de la jeune distribution, que ce soit par Pierre Niney, Audrey Bastien, Lou de Laâge, Ali Marhyar, Victor Bessière. Il me semble qu’il faut beaucoup de maturité pour exprimer ainsi la fougue, la fébrilité, l'exaltation, les excès et les passions de la jeunesse mais aussi paradoxalement l’immaturité de ces personnages. Comment avez-vous procédé pour les choisir ? Par casting ? Ou les avezvous choisis à partir de leurs précédents rôles ?

     Frééric Louf : A part Pierre, aucun dʼentre eux nʼavait joué au cinéma quand je les ai rencontrés. Et Pierre nʼavait eu que de petits rôles. Découvrir des gens talentueux fait partie du plaisir et pour moi cʼétait inhérent au projet; cʼest comme ouvrir un livre sans rien en savoir à lʼavance. Peu importe comment la rencontre se fait, il faut savoir regarder…

    9. Inthemoodforcinema.com : Le titre fait référence au tube de l’année 1981 de Patrick Coutin « J’aime regarder les filles ». Pourquoi ce choix ?

     Frédéric Louf :  «Pour faire parler les bavards» aurait dit ma grand mère. Et surtout parce que pour moi cʼest la chanson hyper romantique dʼun type qui attend la femme de sa vie en hurlant de désespoir sur la plage!

    10. Inthemoodforcinema.com :  Le scénario est très construit mais en même temps se dégage du film une certaine liberté, une fraîcheur, une certaine naïveté mais dans le bon sens du terme. Tout était-il très écrit ou avez-vous laissé une part à l’improvisation ?

    Frédéric Louf : Les deux. Tout était très écrit, mais quand on a affaire à des comédiens comme Pierre Niney et Ali Marhyar, il faut être gravement psychorigide pour ne pas les laisser sʼexprimer!

    11.  Inthemoodforcinema.com : C’est votre premier long-métrage. Comment s’est passée la production ? Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?

    Frédéric Louf : Hélas les difficultés que jʼai rencontrées ne sont pas particulières! Mais jʼai peut-être poussé le bouchon un peu loin en ayant la prétention de faire un film sans stars alors que je suis moi même inconnu. Il y a des gens pour qui on sent bien que découvrir de nouveaux talents nʼest pas une priorité!

    12. Inthemoodforcinema.com :  Le film a reçu un excellent accueil au Festival de Cabourg. Sera-t-il projeté dans d’autres festivals prochainement ?

    Frédéric Louf: Je ne suis pas dans la confidence.

    13. Inthemoodforcinema.com :  Le film sort en salles le 20 juillet, une période difficile pour les sorties mais à mon avis propice pour ce genre de film (je songe au succès inattendu du « Premier jour du reste de ta vie » de Rémi Bezançon à la même période), que diriez-vous pour donner envie aux spectateurs d’aller voir le film ?

     Frédéric Louf: Quʼils vont y voir des comédiens inconnus et fabuleux et quʼils en auront pour leur argent parce que lʼhistoire leur trottera encore dans la tête le lendemain! (on ne pense pas assez à lʼamortissement de son ticket, au cinéma!).

    14. Inthemoodforcinema.com :  Comme « J’aime regarder les filles » était projeté dans le cadre du Festival du Film de Cabourg, je ne peux pas m’empêcher de vous demander quels sont vos films de prédilection en matière de cinéma romantique ?

     Frédéric Louf : «The Ghost and Mrs Muir», de J. L. Mankievicz, est un chef d’œuvre du genre.

     

  • Critique - Théâtre - "Phèdre" à la Comédie Française - Mise en scène de Michael Marmarinos

    Pour illuminer un dimanche pluvieux et maussade, il y a 15 jours, je me suis brusquement décidée à aller voir « Phèdre » à la Comédie Française. Une envie irrépressible et soudaine de me laisser étourdir par des mots et un lieu éblouissants. Chacun ses drogues. Pour moi, ce sont l’écriture, le cinéma, et le théâtre. Evidemment, la pièce était complète mais la Comédie Française propose toujours ce formidable système, le petit bureau : une heure avant chaque représentation de la Salle Richelieu, 65 places sont mises en vente au prix de 5 €, au guichet du « petit bureau », situé rue de Richelieu.

    Même si j’y suis allée de nombreuses fois, je n’y étais pas retournée depuis les travaux qui ont sublimé la salle Richelieu, et aller à la Comédie Française est toujours pour moi une évasion exaltante et spirituelle, et comme pénétrer dans un antre majestueux auréolé de tous ces mots, tous ces textes, tous ces auteurs qui semblent encore voguer dans l’air, dans cette atmosphère particulière à la fois joyeuse et recueillie.

    La dernière pièce à la Comédie Française dont je vous ai parlé ici était « Un chapeau de paille d’Italie », mise en scène signée Giorgio Barberio Corsetti. 2H30 incroyables ( trop courtes !), une satire burlesque et enchantée, extravagante, poétique comme un film de Kaurismäki, délirante, déjantée et musicale comme un film de Kusturica, d’une absurdité irrésistible comme un film de Tati mais une absurdité signifiante comme un livre de Ionesco, et grâce à laquelle j’avais fait un tour de manège étourdissant sans oublier de formidables comédiens dont l’étendue du talent avait été particulièrement mise en exergue par une mise en scène qui transcendait un texte intemporel.

    Comme tout grand texte, et a fortiori avec la pièce de Racine, intemporelle est aussi évidemment « Phèdre », tant de fois jouée, lue, entendue et pourtant…toujours aussi moderne et tragiquement envoûtante.

    Rappel du début de l’histoire pour ceux qui ne la connaîtraient pas. Fille de Minos et de Pasiphaé, Phèdre lutte en vain contre la passion qu’elle éprouve pour Hippolyte, le fils de Thésée dont elle est l’épouse. Épuisée et culpabilisée par ses sentiments qu’elle ne contrôle pas, elle cherche par tous les moyens à l’éloigner d’elle. Ce beau-fils, adulé et rejeté, a l’intention de quitter Trézène pour partir à la recherche de son père disparu, fuyant aussi par là son propre amour pour Aricie, soeur des Pallantides, clan ennemi.

    Jean Racine est au sommet de sa gloire lorsque Phèdre est représentée pour la première fois en 1677 à l’Hôtel de Bourgogne, sous le titre initial d’ « Hippolyte », puis de « Phèdre et Hippolyte ». C’était donc logique et judicieux que de choisir cette même pièce pour la réouverture de la salle Richelieu de la Comédie Française sachant que la Comédie Française a été fondée par lettre de cachet (par Louis XIV le 21 octobre 1680) pour fusionner les deux seules troupes parisiennes de l’époque, la troupe de l’Hôtel Guénégaud et celle de l’Hôtel de Bourgogne.

    Quand vous prenez vos places au petit bureau, vous obtenez une place à visibilité réduite, mais peu m’importait : emportée par la majesté des mots et du lieu, j’étais à la fois terriblement là et ailleurs, fascinée, une nouvelle fois, par l’émotion de ce texte sublimement tragique.

    La mise en scène de Michael Marmarinos est, certes, de prime abord, déconcertante et le décor déconcertant de simplicité composé d’encens, de chaises, d’une table dressée, d’un lit, d’image de Vénus, d’une radio, et puis de l’horizon bleutée du ciel et de la mer sur vidéo (symbole du départ, d’un ailleurs inaccessible, mais aussi d’intemporalité : « La Grèce antique était trop abstraite pour moi. Ce qu’il y a d’antique, c’est l’horizon, la mer et l’île » d’après le metteur en scène ) et puis du véritable héros en tout cas dans cette mise en scène : les mots et leur musicalité fascinante. Ceux qui, justement, nous font sentir terriblement là et terriblement ailleurs. Ceux par qui arrive cette tragédie irréversible et inéluctable. Quant aux costumes, ils évoquent plutôt les années 20/30.

    Ce qui aura sans doute le plus décontenancé les spectateurs, c’est cette radio en permanence allumée (qui vient se mêler à la musique du quatuor ENEA) d’après le metteur en scène là pour « figurer l’écoulement du temps réel », peut-être aussi pour figurer une autre actualité de la Grèce, ou encore mettre l’accent sur l’intemporalité et nous forcer, aussi, à une époque où l’attention est tellement volatile, détournée et sollicitée, à nous appliquer à entendre, écouter et savourer la beauté de ces mots. Pour insister sur cette musicalité, sur le côté de la scène se situe un micro dans lequel déclament les comédiens à certains moments, ce qui nous donne l’impression que les vers de Racine se transforment en air de chanson moderne, n’en devenant que plus réels et bouleversants.

    La tragédie de Racine étant comme beaucoup d’autres nourrie de Grèce antique, un metteur en scène de nationalité grecque comme l’est Michael Marmarinos aurait pu tomber dans des clichés surannés. « On a besoin, dans la tragédie, de réalité, mais pas de réalisme » a-t-il déclaré et, en effet, sa mise en scène nous plonge dans une réalité qui peut être celle de personnages mythiques mais qui peut aussi être une réalité plus proche de nous.

    Et puis il y a les comédiens au premier rang desquels Elsa Lepoivre (Phèdre) et Pierre Niney (Hippolyte). La première en Phèdre est une reine déchirée par la passion et la culpabilité et d’une émotion déchirante parce que jamais dans la grandiloquence. Phèdre est étouffée par ses sentiments, prise dans un étau (de la passion, de la souffrance, de la culpabilité), sans refuge. Impériale Elsa Lepoivre, forte ou exsangue mais bouleversante, terrassée par ses sentiments dont elle est victime.

    Le second en Hippolyte – qui joue le rôle en alternance avec Benjamin Lavernhe – procure au rôle une sidérante élégance, maturité (pour un comédien de 23 ans seulement), une force altière teintée d’une légère vulnérabilité (son amour pour Aricie…). Il jongle avec une indicible habileté avec les alexandrins, sans jamais trébucher, et est un Hippolyte auquel sied parfaitement son jeu et son élégance singuliers et altiers, d’une assurance et d’une force implacables.

    Je vous avais dit à quel point son jeu m’avait impressionnée dans « Un chapeau de paille d’Italie », une performance qui était d’autant plus impressionnante qu’elle semblait être réalisée avec une facilité déconcertante. Il y chantait, dansait, sautait, s’énervait, charmait, s’échappait, revenait, faisait des sauts insensés…le tout avec une ingénuité remarquable. La vivacité et la précision de son jeu, et de ses gestes, renforçaient la modernité et le caractère intemporel de la pièce. Ne serait-ce que pour dire deux fois de manières très différentes et tout aussi irrésistibles, « Le dévouement est la plus belle coiffure d’une femme », réplique déjà drôle en elle-même, il montrait l’étendue de son jeu. Le rôle nécessitait déjà une énergie débordante mais la mise en scène ne lui facilitait vraiment pas la tâche se terminant par des obstacles infranchissables pour le commun des mortels. Il sublimait réellement ce rôle lui apportant modernité, ingénuité et énergie doucement folles. Si vous voulez le voir au cinéma, il est actuellement à l’affiche de « 20 ans d’écart » (LA comédie qui remplit actuellement les salles) et surtout vous pouvez acquérir le DVD des excellents « Comme des frères » ou celui de « J’aime regarder les filles » (dans lequel je l’avais découvert, vous pouvez d’ailleurs retrouver son interview, à ce sujet, ici) , deux films qui lui ont permis d’être nommés deux années de suite comme meilleur espoir aux César (en espérant que la troisième- pour « 20 ans d’écart? » sera la bonne…).

    Comme dans toute pièce de la Comédie Française, chaque comédien apporte néanmoins sa pièce à cet édifice respectant ainsi la devise latine de la Comédie Française « Simul et singulis » (« Ensemble et singuliers »).

    « Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur. » Au-delà de cette mise en scène originale, de ces comédiens, la beauté seule de ces monosyllabes (et, bien sûr, de tous les vers de Racine) justifie d’aller voir ce chef d’œuvre intemporel dans cet antre du théâtre porté par cette mise en scène audacieuse, réelle plus que réaliste qui, à la fois, nous ramène à nous-mêmes, et nous emporte. Une mise en scène moderne sans être caricaturale dans l’avant-gardisme, des comédiens bouleversants et un lieu qui exhale et magnifie la beauté poignante des mots elle-même transcendée par cette judicieuse mise en scène. Vous avez jusqu’au 26 juin 2013 pour vivre, à votre tour, ce beau moment…

    Du 2 mars 2013 au 26 juin 2013
    Durée du spectacle : 2h15 sans entracte

    · Cécile Brune: Panope, femme de la suite de Phèdre

    · Éric Génovèse: Théramène, gouverneur d’Hippolyte

    · Clotilde de Bayser: Œnone, nourrice et confidente de Phèdre

    · Elsa Lepoivre: Phèdre, femme de Thésée, fille de Minos et de Pasiphaé

    · Pierre Niney: Hippolyte, fils de Thésée et d’Antiope, reine des Amazones (en alternance)

    · Jennifer Decker: Aricie, princesse du sang royal d’Athènes

    · Samuel Labarthe: Thésée, fils d’Egée, roi d’Athènes

    · Benjamin Lavernhe: Hippolyte, fils de Thésée et d’Antiope, reine des Amazones (en alternance)

    Ismène, confidente d’Aricie: Emilie Prevosteau
    Mise en scène: Michael Marmarinos
    Assistante à la mise en scène: Alexandra Pavlidou
    Collaboratrice artistique et interprète: Myrto Katsiki
    Scénographie: Lili Pézanou
    Costumes: Virginie Merlin
    Lumières: Pascal Noël
    Musique originale et réalisation sonore: Dimitris Kamarotos
    Musique enregistrée: Quatuor ENEA
    Images du spectacle filmées par: Nikos Pastras

     

    Représentations à la Salle Richelieu, matinées à 14h, soirées à 20h30.

    Prix des places de 5 € à 39 €. Renseignements et location : tous les jours de 11h à 18h aux guichets du théâtre et par téléphone au 0825 10 16 80 (0,15 € la minute), sur le site Internet www.comedie-francaise.fr.

     

    Pour le plaisir des mots… :

     

    ACTE I SCÈNE III

    PHÈDRE

    Quel fruit espères-tu de tant de violence ?

    Tu frémiras d’horreur si je romps le silence.

    ……

    PHÈDRE

    Je t’en ai dit assez. Épargne-moi le reste.

    Je meurs pour ne point faire un aveu si funeste

    ……

    PHÈDRE

    Mon mal vient de plus loin. À peine au fils d’Égée

    Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée,

    Mon repos, mon bonheur semblait s’être affermi,

    Athènes me montra mon superbe ennemi.

    Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;

    Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;

    Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;

    Je sentis tout mon corps et transir et brûler.

    Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,

    D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables.

    Par des voeux assidus je crus les détourner :

    Je lui bâtis un temple, et pris soin de l’orner ;

    De victimes moi-même à toute heure entourée,

    Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée,

    D’un incurable amour remèdes impuissants !

    En vain sur les autels ma main brûlait l’encens :

    Quand ma bouche implorait le nom de la Déesse,

    J’adorais Hippolyte ; et le voyant sans cesse,

    Même au pied des autels que je faisais fumer,

    J’offrais tout à ce Dieu que je n’osais nommer.

    Je l’évitais partout. Ô comble de misère !

    Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.

    Contre moi-même enfin j’osai me révolter :

    J’excitai mon courage à le persécuter.

    Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre,

    J’affectai les chagrins d’une injuste marâtre ;

    Je pressai son exil, et mes cris éternels

    L’arrachèrent du sein et des bras paternels.

    Je respirais OEnone, et depuis son absence,

    Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence.

    Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis,

    De son fatal hymen je cultivais les fruits.

    Vaines précautions ! Cruelle destinée !

    Par mon époux lui-même à Trézène amenée,

    J’ai revu l’ennemi que j’avais éloigné :

    Ma blessure trop vive a aussitôt saigné,

    Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée :

    C’est Vénus tout entière à sa proie attachée.

    J’ai conçu pour mon crime une juste terreur ;

    J’ai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur.

    Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire ;

    Et dérober au jour une flamme si noire :

    Je n’ai pu soutenir tes larmes, tes combats ;

    Je t’ai tout avoué ; je ne m’en repens pas,

    Pourvu que de ma mort respectant les approches,

    Tu ne m’affliges plus par d’injustes reproches,

    Et que tes vains secours cessent de rappeler

    Un reste de chaleur tout prêt à s’exhaler.

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  • Le Débarquement sur CANAL + ce soir à 20H55

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    Il est rare que je vous parle d'émissions télévisées mais celle-ci qui se définit comme "le plus grand show comique de l'histoire de Canal +" me semble une belle innovation qui devrait plaire aux amateurs de cinéma puisque de nombreux acteurs et non des moindres y seront présents et puisque les sketchs feront apparemment souvent référence au cinéma. Je n'ai pas encore le don d'ubiquité malheureusement donc j'ai dû décliner l'invitation à  assister au tournage pour cause de cérémonie des Lumières à laquelle je serai ce soir (et que je vous invite de nouveau à suivre en direct sur twitter ). Si vous voulez voir 34 comédiens (et non des moindres: Guillaume Canet, Jean Dujardin, Marion Cotillard, Sandrine Kiberlain, Pierre Niney...) dans des rôles inattendus et en direct, regardez Canal plus, ce soir, à 20H55. 

  • Théâtre - Critique- « Un chapeau de paille d’Italie » d’Eugène Labiche et Marc-Michel au théâtre éphémère de la Comédie Française

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    Dimanche dernier, je suis allée voir « Un chapeau de paille d’Italie » à la Comédie Française (il était temps, la pièce est jouée jusqu’au 7 janvier 2013). Ah, la Comédie Française ! Lorsque j’ai débarqué à Paris, il y a déjà quelques années de cela, c’est un des premiers lieux où je me suis rendue comme d’autres seraient allés à l’Eglise. Moi qui aime tant les mots, la littérature, le théâtre, j’étais dans leur temple, saisie par une émotion presque mystique qui ne m’a jamais vraiment quittée depuis à chaque fois que j’ai franchi les portes de ce temple du théâtre (le terme de temple ne lui rend d’ailleurs pas justice car la Comédie Française n’est pas un lieu figé ou inaccessible comme le démontre d’ailleurs magistralement la pièce dont je vais vous parler). C’était dimanche dernier donc et, depuis, je suis encore portée par l’énergie débordante et communicative de cette pièce qui résulte évidemment du texte de Labiche mais aussi de sa mise en scène (ici signée Giorgio Barberio Corsetti) et de l’interprétation, exceptionnelles.

     

    La pièce étant complète, c’est au « Petit bureau » que j’ai obtenu le précieux sésame pour la représentation (pour ceux qui ne connaissent pas encore, ce sont des places à 5 euros distribuées une heure avant la représentation, des places normalement avec visibilité réduite), le destin voulant que je puisse voir la pièce car la dernière place m’a été attribuée…cela tombait bien puisque c’est justement (notamment) une pièce sur le destin qui a ici certes la forme d’un chapeau et non d’un ticket de théâtre. Me voilà au dernier rang dans ce théâtre éphémère, aussi confortable qu’un permanent même si, évidemment, il ne possède pas l’aura historique du théâtre Richelieu (actuellement en travaux) mais où, en tout cas, la visibilité est égale où que vous soyez installés et quel que soit le prix que vous aurez payé. Qu’importe le lieu, quand le texte, l’interprétation et la mise en scène sont là comme ils le furent ce soir-là, la magie opère… ! Pendant 3 heures, en effet, j’étais comme une enfant éberluée, émerveillée, les yeux écarquillés devant un manège étourdissant et fascinant, complètement ailleurs et intensément là.

     

    « Un chapeau de paille d’Italie » est une comédie en 5 actes d’Eugène Labiche, qui fut représentée pour la première fois à Paris au Théâtre du Palais-Royal le 14 août 1851. La pièce fut écrite en collaboration avec Marc-Michel.

     

    Parce que son cheval a mangé le chapeau de paille de Madame Beauperthuis (Véronique Vella), chapeau de paille d’Italie fait à Florence avec une paille très fine et garni de coquelicots, le jeune Leonidas Fadinard (Pierre Niney) doit lui en trouver un autre identique pour déjouer les soupçons du mari jaloux. C’est d’autant plus fâcheux que c’est le jour du mariage de Fadinard et que la noce (et quelle noce !) montée de province va le suivre partout dans sa quête, d’abord chez une modiste (Coraly Zahonero) puis chez une Baronne (Danièle Lebrun), et ainsi de suite… L’étui à chapeaux devient alors une sorte de boîte de Pandore qui va libérer plus que des maux, une succession ininterrompue et irrésistible de quiproquos, et faire éclater des vérités que certains auraient préféré laisser cachées.

     

    Il m’a fallu quelques minutes pour m’adapter à cette mise en scène audacieuse, au décor, aux costumes, au rythme, et puis…et puis…j’ai été emportée, transportée, par ce rythme échevelé (sans mauvais jeu de mots), cette quête frénétique, cette mécanique infernale et implacable. Giorgio Barberio Corsetti a eu l’idée, d’abord déconcertante et finalement lumineuse, de s’inspirer très fortement des années 1970 pour le décor et les costumes. Le premier tableau a pour décor quelques chaises et un plastique transparent qui masquent les travaux dans l’appartement de Fadinard. Comme il le dit lui-même, le metteur en scène a préféré le symbole à la représentation et cette décomposition du décor met davantage encore l’accent sur la folie et l’absurdité de ce monde qui se désagrège et entre dans une folie furieuse par souci de sauvegarder les apparences… Le décor vit et fait presque office de didascalies destinées aux spectateurs nous disant ce que chacun essaie de masquer. Il fait appel à l’intelligence du spectateur en créant ainsi des résonances dans son imaginaire et cela n’en est que plus louable. Quelle plus belle idée en effet pour parler des conventions de la bourgeoisie que de les faire exploser joyeusement dans la forme de la mise en scène !

     

    Arrive ensuite la musique d’un trio de musiciens présents sur scène, entre le rock et la musique tzigane, d’une joyeuse tristesse, qui augmente encore la sensation d’absurdité déconcertante à nouveau d’abord mais surtout enthousiasmante. Ce cortège est un mélange de Tati, de Kaurismäki, de Kusturica. Il leur emprunte leur savoureux et poétique décalage, teinté ici d’une gaieté mélancolique. Il leur emprunte aussi la jubilation qu’ils procurent. C’est un bouillonnement de vitalité qui emporte tout sur son passage, y compris les rires de la salle, et sans doute les dernières réserves des spectateurs qui s’attendaient à une mise en scène plus classique, voire académique.

     

    Peut-être vous dites-vous : Labiche, le vaudeville, le mari, la femme, l’amant, c’est tout vu d’avance et suranné. Non, justement. C’est tout sauf vu d’avance. C’est tout sauf suranné. C’est une surprise et un enchantement permanents. C’est excentrique, à la fois poétique et inquiétant, onirique et cauchemardesque. Ce n’est par ailleurs évidemment pas vain et encore moins suranné : Labiche dénonce le caractère ridicule de certaines conventions bourgeoises (intemporelles), le souci de sauver les apparences ou de les sublimer (irrésistible passage chez la Baronne…).

     

    Quant à la distribution, elle est absolument réjouissante : de Danièle Lebrun (trop rare au cinéma) hilarante en baronne, Christian Hecq inénarrable en beau-père pépiniériste accroché à un myrte en pot, Vézinet, l’oncle sourd (Gilles David). Il faudrait tous les citer… Et puis, ce qui sera pour certains une découverte et pour moi la confirmation d’un talent rare : Pierre Niney. Impressionnant. Epoustouflant. « Prodigieux » comme je l’ai entendu à l’entracte. Les adjectifs me manquent. Comme si De Funès avait rencontré Belmondo et comme s’ils avaient créé ce talent unique qui ne ressemble d’ailleurs ni à l’un ni à l’autre mais rappelle le premier par une mécanique de drôlerie très particulière, et le second par l’énergie et la modernité singulières de son jeu…et avec un zeste de Buster Keaton pour le mélange de burlesque et poésie. Oui, rien que ça. J’ai rarement vu une telle performance qui est d’autant plus impressionnante qu’elle semble être réalisée avec une facilité déconcertante. Il chante, danse, saute, s’énerve, minaude, charme, s’échappe, revient, fait des sauts insensés…le tout avec une ingénuité remarquable. Ce n’est évidemment pas seulement une performance physique mais ça l’est aussi. La vivacité et la précision de son jeu, et de ses gestes, renforcent la modernité et le caractère intemporel de la pièce. Ne serait-ce que pour dire deux fois de manières très différentes et tout aussi irrésistibles, « Le dévouement est la plus belle coiffure d’une femme », réplique déjà drôle en elle-même, il montre l’étendue de son jeu. Le rôle nécessite déjà une énergie débordante mais la mise en scène ne lui facilite vraiment pas la tâche se terminant par des obstacles infranchissables pour le commun des mortels. Si vous voulez le voir au cinéma, il est actuellement à l’affiche dans l’excellent « Comme des frères » et prénommé aux César comme meilleur espoir après une nomination pour « J’aime regarder les filles » l’an dernier, et également nommé aux prix Lumières 2013 et parmi les trois nommés au prix Patrick Dewaere 2013. C’est beaucoup me direz-vous mais c’est mérité, à le voir dans ce rôle qu’il sublime réellement, auquel il apporte modernité, ingénuité et énergie doucement folles. Chaque comédien apporte néanmoins sa pièce à cet édifice respectant ainsi la devise latine de la Comédie Française « Simul et singulis » (« Ensemble et singuliers »).

     

    Seul bémol : l’entracte qui coupe un peu le rythme justement au moment où il atteint son paroxysme mais ce n’est évidemment pas une raison suffisante pour ne pas vous recommander ces 2H30 incroyables (presque trop courtes !), cette satire burlesque et enchantée, extravagante, poétique comme un film de Kaurismäki, délirante, déjantée et musicale comme un film de Kusturica, d’une absurdité irrésistible comme un film de Tati mais une absurdité signifiante comme un livre de Ionesco, qui vous fera faire un tour de manège étourdissant, ne serait-ce aussi que pour retrouver tous ces formidables comédiens dont l’étendue du talent a rarement été aussi bien exploitée grâce à une mise en scène qui transcende un texte intemporel. J’ai passé un moment magique qui m’a fait oublier les vicissitudes de l’existence et qui m’a en même temps rappelé mon amour immodéré du théâtre, et son pouvoir magique, justement, qui consiste notamment à nous permettre d’être ainsi en même temps magnifiquement là et sublimement ailleurs. Vraiment. Alors, ne laissez pas passer cette chance de le vivre vous aussi.

     

    Complet sur internet jusqu’au 7 janvier. Il vous reste le « petit bureau ». Venez deux heures avant pour être certains d’avoir une place.

     

    Comédie en cinq actes d’Eugène Labiche et Marc-Michel mise en scène de Giorgio Barberio Corsetti

     

    Avec

     

    Véronique Vella, Anaïs, femme de Beauperthuis

     

    Coraly Zahonero, Clara, la modiste

     

    Jérôme Pouly, Beauperthuis (en alternance)

     

    Laurent Natrella, Émile Tavernier, lieutenant

     

    Léonie Simaga, Virginie, bonne chez Beauperthuis

     

    Nicolas Lormeau, Tardiveau, teneur de livres

     

    Gilles David, Vézinet, sourd

     

    Christian Hecq, Nonancourt, pépiniériste

     

    Nâzim Boudjenah, Beauperthuis (en alternance)

     

    Félicien Juttner, Bobin, neveu de Nonancourt

     

    Pierre Niney, Fadinard, rentier

     

    Adeline d’Hermy, Hélène, fille de Nonancourt

     

    Danièle Lebrun, la Baronne de Champigny

     

    Elliot Jenicot, Achille de Rosalba, jeune lion

     

    Louis Arene, Félix, domestique de Fadinard

     

    Et les élèves-comédiens de la Comédie-Française, Laurent Cogez, Carine Goron, Lucas Hérault, Blaise Pettebone, Nelly Pulicani, Maxime Taffanel, la Noce

     

    Et les musiciens, Christophe Cravero, violon, batterie, guitare, piano, Hervé Legeay, guitares, et Hervé Pouliquen, guitares, basse, cavaquinho

     

    Scénographie, Giorgio Barberio Corsetti et Massimo Troncanetti

     

    Costumes, Renato Bianchi

     

    Musique originale, direction musicale et direction des chants, Hervé Legeay

     

    Lumières, Fabrice Kebour

     

    Maquillages, Carole Anquetil

     

    Assistante à la mise en scène, Raquel Silva

     

    Avec le soutien d’Air France

     

    Nouvelle mise en scène

     

    Représentations au Théâtre éphémère, matinée à 14h, soirées à 20h30.

     

    Prix des places de 5 € à 39 €. Renseignements et location : tous les jours de 11h à 18h aux guichets du théâtre et par téléphone au 0825 10 16 80 (0,15 € la minute), sur le site Internet www.comedie-francaise.fr.